BATTISTI LIBÉRÉ, L’ITALIE “HUMILIÈE”

La décision de la justice brésilienne de libérer l’ancien militant d’extrême-gauche Cesare Battisti a provoqué de nombreuses réactions en Italie, où il a été condamné par contumace à la réclusion à perpétuité pour quatre meurtres et complicité de meurtres commis à la fin des années 1970. Pour leJDD.fr, Alberto Toscano, journaliste et écrivain, explique l’état d’esprit des Italiens.

La libération de Battisti a-t-elle provoqué la colère des Italiens?
Ce n’est pas une réaction de colère ou de vengeance mais de déception. Le fait qu’une décision de justice [sa condamnation à perpétuité par la justice italienne en 1993, ndlr], dans un cas si grave, ne soit pas appliquée est vécu par les Italiens comme une humiliation nationale. Il y a un sentiment d’amertume. Il n’est pas question d’harceler Cesare Battisti pour se venger de quelque chose. Mais tous ceux qui ont vécu la peur à cette époque et la tragédie du terrorisme ont le droit de ne pas être humiliés. Le problème finalement, ce n’est pas que Battisti soit libéré, mais que la magistrature italienne ait été bafouée.

En Italie, comment s’explique-t-on la décision brésilienne de libérer Cesare Battisti?
On se l’explique par des considérations politiques, quoi sont elles-mêmes le fruit de pressions internationales, notamment françaises. Le dernier jour de son mandat, le président Lula a décidé de libérer Battisti. La Cour suprême brésilienne n’a fait que confirmer la décision du président brésilien. Pourtant, elle avait dans un premier temps décidé de l’extrader. Cela voulait bien dire que le dossier juridique était bien ficelé. C’est donc un calcul politique du président Lula.

«Cela étonne les Français qui ont une attitude un peu légère vis-à-vis de l’Italie»

En Italie, la classe politique est unanime pour condamner cette libération…
Oui. Cela étonne les Français qui ont une attitude un peu légère vis-à-vis de l’Italie et qui ne prennent pas la peine d’étudier l’histoire de l’Italie avant de prendre une position politique. Une partie du monde politique français a d’ailleurs manqué de respect à l’Italie au sujet du terrorisme. Or, en Italie, l’ensemble de l’opinion publique considère que Battisti aurait dû être extradé. Mais je le répète, ce n’est pas une question de vengeance. Il s’agit tout simplement de défendre la démocratie italienne et sa dignité.

Le souvenir de ces années de plomb est-il toujours très présent en Italie?
Le souvenir est très présent dans toutes les têtes de ceux qui ont vécu cette période horrible, où les terroristes d’extrême droite et d’extrême gauche ont combattu la démocratie. Ces deux formes différentes de terrorisme voulaient la même chose : la déstabilisation de l’état de droit démocratique. Durant cette période, des centaines de personnes ont été tuées, des actes de violences ont été commis contre des magistrats, des journalistes, des professeurs d’université… A l’époque, tous ceux qui étaient loyaux au principe de l’Etat républicain risquaient leur vie. Je cite toujours cet exemple très symbolique de l’actuelle présidente du parti démocrate italien, Rosy Bindi, qui était à côté d’un professeur d’université au moment où il a été assassiné par les Brigades rouges. Ce souvenir est donc encore très vif parmi les hommes politiques actuellement au pouvoir en Italie.

La page n’est donc pas tournée…
En Italie, on voudrait bien tourner la page mais pour cela, il faut que l’on dise clairement de quel côté était le mal, de quel côté était le bien, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Les victimes du terrorisme sont celles qui se sont battues pour notre démocratie et notre état de droit. La démocratie était du côté de l’écrasante majorité du peuple italien qui a traversé cette période difficile avec courage. Et les Italiens sont fiers d’avoir gagné par des moyens démocratiques la bataille pour la défense de leurs institutions.

Marianne Enault – leJDD.fr
Jeudi 09 Juin 2011